Marcel Arnould
ou les éblouissements de l’incertitude
Dans le vide inconnu se projettent des dessins d’âme et de précarité, petites îles séparées, déliées, aventureuses, et sans patrie. Ecriture à hauts risques, en archipel, et vibratile. Fouilles aiguës d’un être inhabitable et déréalisé, noué d’impossible et d’impensable. Une indicible finesse, d’une infinie et cruelle souplesse, et d’une éprouvante minutie, jette au-dehors d’étranges calligraphies. Beauté latente où le choc innombrable des noirs et des blancs brûle sans fin l’étendue.
Cartographie aérienne et venteuse d’une intériorité poignante, quasi découpée au scalpel, et qui traverse en fantôme toutes les formes attendues. Chaque dessin épars invente des hybrides, des sans-formes, des allusifs, et des inextricables.
Tentatives ténues et instables de fuir l’enfermement du corps, en créant d’autres corps en constantes déformations. Fascinantes saisies de ces instantanés fragiles. Ces transformations aventureuses forment un état lacunaire et premier. A l’origine est la métamorphose. Il n’y a ni passé ni avenir, mais présent discontinu d’une création sauvage. Et dans cet art libertaire, le lâcher-prise est constant.
Enfiévré du trait qui se hasarde, et natif des profondeurs qui exultent, Marcel Arnould invente, entre le dit et le non-dit, le peuple secret de la trace, de la tache, et de la déchirure. Il éveille le chaos qui dort sous les passages cloutés. Il secoue les bas-fonds éperdus, et les pulsions fatiguées. Il a besoin des accidents vitaux du geste et du papier, et de leur puissante agissante.
Chez lui, la création s’arrache à la création. Il n’y a jamais d’arrêt. Les apparences incertaines d’Arnoult, artiste de la dissémination et du fourmillement, sont des intra-terrestres démunis et hâtifs. Travaillés du dedans, ils ne traversent pas la vie, ils sont traversés. Ils ne tentent pas de saisir, ils sont saisis. Secoués d’altérité, ils se coltinent la monstrueuse énergie du réel, et font la vie sans le savoir, à l’insu du pensé.
Virtuose de l’hétérogénéité des champs graphiques, Arnould navigue sur les remous profonds de l’affectivité d’origine. Il vagabonde à l’envie dans les désordres des signes, et dans cette subtile écriture de la défiguration, où parfois la mort peut respirer, on voit surgir çà et là des faces évidées, des entités hallucinées, et des créatures exorcisées.
Les œuvres de Marcel Arnould sont les figures effarées et plurielles, éphémères et inattendues, d’un ailleurs fabuleusement présent, et d’un réel toujours en perdition.
Chacun ose s’y perdre.
Et le dessin éblouit l’espace.
Christian Noorbergen