DANS LE FOND. LA PEAU QUI HABITE LE CORPS
«Créer une image, ça consiste à ôter à l’objet toutes ses dimensions une à une: le poids, le relief, le parfum, la profondeur, le temps, la continuité, et bien sûr le sens, à le dépouiller jusqu’à cette séduction bien plus envahissante de l’absence de sens. Ainsi la nudité, par ailleurs sursaturée de sens, déboute la demande de représentation: elle ne représente rien, elle est. Motif supplémentaire et déterminant qui justifie la prépondérance de l’opération même, le dévoilement, sur son résultat, le dévoilé» - Baudrillard
Le travail de Pascal valu est riche, ample et protéiforme. Le photographe pose son objectif, son regard sans tenir compte de l’«air du temps», et orchestre ses images, parfois, à contre-courant… Avec «Dans le Fond», Pascal Valu met en scène des corps nus dont il démultiplie une parcelle de peau, une «partie anatomique isolée» pour la recomposer, la «cloner», la «sampler» à l’infinie, dans l’arrière-plan.
C’est «chirurgical», net et précis. Le «corps» est donc mis en scène dans un décor, et ce même décor se construit par une partie, extraite, de ce même corps. Objet du désir. Désir de la chaire… C’est «artistique», ornemental, érotique et «intensément profond». Une mise en abîme de l’image dans l’image et du corps dans le décor.
«Le plus profond c’est la peau» - Paul Valéry
Le TOTEM et Le TABOU
Mettre en image la nudité dans une photographie n’est pas, artistiquement parlant, une chose simple et facile. La notion de «Totem», et de «Tabou» font et feront toujours «volte-face». Schocking? Montrer la nudité, montrer un corps va forcément révéler et dévoiler une partie, ou l’intégralité de l’anatomie des modèles: déci, une belle paire de couilles, un pénis, un torse poilu, un sexe, et delà un tatouage, un visage, la courbure des creux des reins, un piercing, un pectoraux, une bouche ouverte, un regard caméra, une main offerte…
Notre CORPS nous APPARTIENT
Que en pensera le «politiquement corporate», mais le corps dénudé, à la fois paré, ou ornementé, tatoué, scarifié, percé n’est pas anthropologiquement parlant un corps «nu», comme notre société occidentale peut l’envisager. Pascal Valu, nous fait alors cette proposition, et nous donne la possibilité, «dans le fond», d’envisager un concept essentiel, important et simple, celui que «notre corps, nous appartient». Cette peau, cette enveloppe charnelle n’appartiens alors plus à nos «Géniteurs», pas encore moins à l’«Etat», ni à l’«Eglise» ... Concept abordé dans l’Art par Sterlac, Orlan et au cinéma par David Cronenberg…
D’un point de vue sémiologique, la lumière, l’angle de vue, la pose des modèles, l’extraction «quasi médicale» d’une partie du corps à répéter dans l’arrière plan participe à un habillage, ou le degré zéro du costume est la nudité. Le corps nu est comme une boule d’argile à sculpter, au fil du temps, par un double «je». Un «jeu», au double sens du terme, entre l’homme et son corps. Le corps est aujourd’hui un double, un autre soi-même mais ouvert à toutes les modifications, preuve radicale et modulable de l’existence personnelle et affichage d’une identité provisoirement ou durablement choisie. A définir. A modifier. A façonner…
S’EMPARER FRONTALEMENT de REFERENTS
Pour la multiplication des motifs, la composition de l’image, Pascal Valu, choisit des pistes passionnantes. Il s’empare frontalement de tableau du Moyen-âge. A savoir de «Der Ratschlunss Der Erlösung Nacht», de «Werkstatt», de «Die Königin von Saba vor Salomo» et utilise, ainsi, la peinture de Konrad Witz comme une base de départ pour encore mieux s’en éloigner. Sa photographie s’inscrit dans le présent. Les références aux passés sont volontairement distanciées, décalées: le casque et le bouclier du centurion romain sont volontairement en plastique. Les nattes du Gaulois sont en corde. La massue du gladiateur est en pvc. C’est sacrément gonflé, et rempli d’une pointe d’humour, pour décaler encore et toujours plus la projection finale vers un contexte contemporain, moderne. Ici, les icones «façonnés» par Pascal Valu sont des personnages réellement «incarnés».
La photographie n’est pas si anodine qu’elle y parait. Elle mène une vie parallèle. Une vie «identitaire» représentant et revendiquant «ce que Je suis», mon genre, mon moi, mon être, une part d’intime.
Et une autre vie plus subversive révélant ce que je fais, ce que j’aimerais vous proposer : une part de mystère, de non-dit, une face cachée en devenir. Une vie parallèle à fleur de peau ou comme dans les cabines d’un peep-show des fenêtres, s’ouvrent et se ferment sur des partie du corps, éveillant désirs et convoitises, d’un simple battement cils. Et Clap! Je dévoile. Je masque…
UNE DANSE DES SEPT VOILES
Si le costume permet de dater une époque. La représentation d’un corps nu, dans l’œuvre de Pascal Valu, met l’image «hors temps» et nous plonge à travers le langage d’une «modernité perpétuelle cyclique». «Dans le fond», par sa représentation d’une nudité, nous renseigne sur «l’autre» et nous permet de le situer dans une société, en nous le renvoyant au présent. Reconfiguration du corps par procédé numérique. Pas de plagia iconoclaste. Dans nos sociétés contemporaines, le corps est devenu un vaste champ d’investigation et d’interrogation pour les créateurs. Le corps est une représentation provisoire, un gadget, un lieu idéal de mise en scène pour effets spéciaux. La malléabilité de soi, la plasticité du corps deviennent des lieux communs. L’anatomie n’est plus un destin mais un accessoire de la présence, une matière première à façonner, à redéfinir, à soumettre au design du moment. Pascal Valu, répète et reformule inconsciemment le fantasme, le revenant, le modèle de la «Danse des Sept Voiles», ou après avoir s’être effeuillée 6 fois, la danseuse est écorchée vive, comme un gant retourné, à même la peau pour révéler l’«anatomie du dedans», pour voir ce qu’il y a un l’intérieure. Le sabre est ici troqué par un procédé numérique pour démultiplier à l’infini dans les décors cet étrange objet du désir: la peau qui habite.
William Arlotti